Bâtir une communauté protestante haïtienne juste pour l’avenir

Présentation


De quoi est faite une communauté protestante? Elle n’est certainement pas faite uniquement d’individus qui cherchent à défendre leurs intérêts particuliers, quitte à détruire les autres, sans jamais prendre en compte l’intérêt collectif. Cette dernière vision a été proposée, entre autres, par les théoriciens du « choix rationnel » qui ont inspiré la pensée néo-libérale. Elle
ignore la dimension éthique de l’existence en commun, c’est-à-dire les liens sociaux et les valeurs qui influencent les rapports entre les membres d’une société et qui font jaillir leur désir de vivre ensemble, de « faire société ». Elle ignore aussi les relations d’interdépendance entre tous les membres d’une société : même à son insu, chacun compte sur les autres pour que la communauté se développe et perdure, que ce soit sur les politiciens pour gouverner, sur les professeurs pour transmettre le savoir, sur les médecins, les infirmières et les guérisseurs pour soigner, sur les religieux pour réconforter, sur les paysans pour produire la nourriture, sur les ingénieurs pour construire les routes ou sur les juges et les policiers pour faire appliquer les lois, etc. Ces liens d’interdépendance sont fondamentaux pour le devenir d’une communauté dite protestante. Ils fondent le lien social, ce qui cimente une société et fait qu’elle avance vers la réalisation d’un
idéal commun, partagé, d’une visée éthique collective.
Le philosophe français Paul Ricœur définit une visée éthique comme celle d’« une vie bonne, pour et avec autrui, dans des institutions justes ». Quelle est cette vie bonne que les Protestants Haïtiens souhaitent pour eux-mêmes, leurs proches, leur village, leur ville, leur pays?
Quel idéal éthique partagent-ils dans la quête de cette vie bonne? Quelles institutions justes désirent-ils construire ensemble, chacun apportant sa contribution à ce bien commun?


La politique pourrait être un lieu vivant et chaleureux où tous les membres d’une société discutent, analysent, décortiquent, contestent ou améliorent ces valeurs communes, modelant ainsi le creuset des rêves et des espoirs d’un monde meilleur à construire ensemble. Elle n’est pas destinée à être une arène cruelle, remplie de pièges et de déceptions, où dominent le conservatisme, l’ennui, l’immobilisme, la peur du changement, le mensonge et l’hypocrisie. De la même façon, les lois et autres documents officiels peuvent être davantage que des textes ennuyeux et austères, incompréhensibles par le commun des mortels et parfois menaçants
car chargés de difficultés pour tous ceux qui devront l’appliquer ou s’y « assujettir ». Au contraire, ils pourraient exprimer les aspirations collectives d’un Peuple visant à réinventer leur société afin
qu’elle soit plus juste, plus vivable, plus heureuse. Imaginer une loi, en discuter d’égal à égal avec des concitoyens, délibérer sur ses avantages et ses inconvénients, sur les valeurs qu’il promeut devient alors un plaisir « civique », distinct des plaisirs centrés sur l’ego, mais non moins
gratifiant. Ce plaisir civique prend tout son sens dans une communauté protestante vraiment ouverte à l’intelligence collective, aux multiples savoirs des chrétiens-citoyens et à l’expression de leurs aspirations par des formes autres que la soumission mutuelle dans l’église. C’est à ce plaisir
civique que ce congrès convie ses participants et participantes.
Distinction entre individu et citoyen (Extrait de Marc Agi, Bâtir la cité humaine, in Éthique des droits de l’homme et Éthiques professionnelles. 1995)
À ce propos, je voudrais faire une distinction entre l’individu et le citoyen. L’individu est une personne (vous, moi), qui comporte quelque chose de très concret. Indépendamment du fait qu’il désigne un membre d’une espèce particulière (les espèces sont composées d’individus),
l’individu lui-même est un être concret, un être qui a des appétits, qui peut être égoïste, aveugle à la dignité et aux intérêts des autres. Quand la police parle d’un délinquant ou même d’un «suspect », elle emploie le terme « individu ». Par exemple, j’ai entendu un beau matin à la radio
un policier dire : « Dans une voiture, j’ai vu des individus qui chargeaient un revolver. Je ne suis qu’un policier municipal, je n’avais pas d’arme. Il ne s’est rien passé de grave, mais la situation aurait pu tourner au tragique. » Le policier a parlé d’individus. Il n’a pas dit : « J’ai vu deux citoyens en train de charger un revolver ». C’est-à-dire que le citoyen n’est pas celui qui
chargerait un revolver (sauf pour voler au secours des siens ou de la patrie).
Par opposition à l’individu, le citoyen c’est quelqu’un d’un peu abstrait. Il est à la fois celui qui n’a aucun préjugé, celui pour qui l’intérêt de la Nation représente quelque chose d’important. Le parfait citoyen serait ce que l’on pourrait appeler un « saint laïque ». Dans la réalité, l’individu en tant que tel n’existe pas, le citoyen non plus. En fait c’est nous, hommes ou
femmes, qui existons, à la fois comme individus et comme citoyens ; nous représentons la conjonction des deux. Ce que j’appelle un « être humain », c’est à la fois l’individu égoïste (qui a des besoins), mais aussi celui qui prend la mesure de lui-même, qui sait se situer, se maîtriser, qui est donc en même temps un citoyen. En somme on peut dire que c’est avec tous nos défauts, tous nos appétits, que nous pouvons néanmoins exercer notre rôle de citoyen et prendre conscience de notre mission, non pas seulement dans notre pays, mais aussi dans le monde. 1 Abboth de Rabbi Nathan,
31 (Rabbi Yohanan ben Zaccaï).
Dans le monde réel, le citoyen n’est malheureusement pas ce « saint laïque idéal » que nous venons de décrire, et qui aurait réussi à surmonter, maîtriser, canaliser ses travers, ses carences, ses égoïsmes, pour les mettre au service de la collectivité. Le citoyen sait qu’il ne suffit
pas de s’occuper de soi-même et qu’il faut aussi qu’il s’occupe des autres. C’est ce que Montesquieu pensait quand il écrivait 1 que : « La société est l’union des hommes, et non pas les hommes ; le citoyen peut périr, et l’homme rester. » Comme nous le disions, il y a une permanence dans l’humanité, et cette permanence n’existe que parce que chaque citoyen joue son rôle le relais dans ces fameuses trois dimensions que nous avons décrites – puisque, du point de vue de l’espace, chacun détient une parcelle de souveraineté sur la planète et que, du point de vue du temps, chacun représente un maillon de la chaîne humaine. Montesquieu dit ailleurs 2 : « Quand j’agis, je suis citoyen ; mais lorsque j’écris, je suis homme. »
Le citoyen, c’est celui qui adopte un certain type de comportement positif dans la société où il vit. Mais quand il prend un peu de distance, quand il essaie de s’exprimer au nom de l’humanité, alors il devient un « Homme. » La Révolution française avait bien vu cette distinction, puisqu’il ne lui suffit pas de parler « des droits de l’Homme », elle parle aussi de ceux
du « Citoyen ». L’Homme avec un grand « H », demeure quelque chose de très abstrait. Comme le soulignait Jean-Paul Sartre, il y a des Français, des Allemands… Mais l’Homme, il ne le connaît pas. Il avait un peu raison. C’est seulement à travers son identité effective que l’on peut
réellement exister. Cette identification, cette mission, nous permettent d’être des citoyens. Au fond, pour les révolutionnaires, il n’y a pas de droits de l’Homme sans citoyens. Il n’y a pas de droits de l’Homme sans des gens qui les incarnent, qui les font vivre, qui les pratiquent. De la même façon, il n’y a pas de citoyens sans droits de l’Homme : lorsque l’on vit dans un pays non démocratique, les hommes sont des sujets (sinon des objets, ce qui est pire), mais non des citoyens. Le citoyen, c’est celui qui connaît et peut exercer ses libertés et défendre ses droits ; c’est surtout celui qui sait faire son devoir à l’égard de la collectivité.
Objectif et résultats attendus du Congrès
Ce congrès a pour but d’énoncer dans un texte collaboratif les principales valeurs collectives du protestantisme, celles que toutes les églises aimeraient voir respectées et chéries par tous leurs dirigeants et dirigeantes. En deux jours, par le biais d’une méthode participative,


les participants proposeront ainsi une première version de la Déclaration du 500 e du Protestantisme dans la Société Haïtienne. Cette déclaration comportera diverses sections de la taille d’un paragraphe.
Déroulement du Congrès
Le congrès comprend une session plénière suivie des ateliers de discussion pour aboutir à des résolutions à adopter par l’assemblée générale. Chaque atelier doit produire une section d’un paragraphe énonçant une valeur collective de la communauté protestante haïtienne en lien avec le thème discuté. Chaque atelier sera débuté par une brève présentation (10 mn) pour stimuler le débat.
Une discussion peut-être aussi animée par un modérateur expérimenté pendant 45 à 60 mn.  Les prochaines minutes seront consacrées à formuler des résolutions ou des thèses pour la déclaration du 500 e de la Réforme protestante.  Les présentations des ateliers seront enregistrées sur un
support audio et vidéo.  Un rapporteur qualifié consignera par écrit les principales idées développées lors des discussions.  Un théologien ou un autre universitaire formulera les
résolutions ou les thèses.
Les participants s’inscrivent à l’avance ou durant la première matinée dans les ateliers thématiques qui les intéressent. Tous les paragraphes formeront la déclaration du 500e. Les sujets les plus controversés seront évités. L’idée est de trouver un socle commun. Pas de faire des débats qui montrent des divergences. Mais ce socle commun doit quand même être clair et
pas trop général. Utilisation d’un texte collaboratif en ligne pour visualiser cette écriture collaborative en temps réel sur un grand écran dans la salle principale. Le texte est lu par une comédienne ou un comédien de la place. Les leaders seront invités à le commenter et apposer leur signature sur le texte imprimé. Puis il est publié officiellement comme “Déclaration du 500 e
du Protestantisme dans la Société Haïtienne”.


Thématiques retenues pour les ateliers :

  1. Protestant et éthique protestante (qualité de vie, travail, famille et ministère)
  2. Protestantisme et justice sociale (inclusion, protection des plus vulnérables, zombification, domesticité, solidarité, etc.)
  3. Protestantisme et développement local (travail, production, consommation et exportation)
  4. Protestantisme et environnement (participation sociale, souci de l’avenir, protection de la planète, travail collaboratif pour revitaliser les zones en danger, reboisement, etc.)
  5. Relation Église protestante et l’État Haïtien (Convention)
  6. Protestantisme et participation citoyenne (Démocratie et vie politique)
  7. Protestantisme et solidarité (Vivre ensemble, harmonie et convivialité)
  8. Protestantisme et l’œcuménisme

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